Le canal du Midi de Villefranche de Lauragais à Castelnaudary


   

Le commerce de marchandise de la Méditerrannée à l’Atlantique nécessitait jusqu’au XVIIème siècle un interminable transit maritime par le détroit de Gibraltar. L’Espagne percevait des droits de passage et les bateaux étaient régulièrement abordés par les pirates en provenance des côtes d’Afrique du Nord. Cette variété de commerçants maritimes était dotée du privilège de ne pas payer la marchandise dont elle s’emparait. Les routes terrestres ne valaient guère mieux. L’idée d’aménager une voie fluviale entre la Garonne et la Méditérrannée était très ancienne. Les Romains y avait pensé. Henri IV en avait rêvé. Louis XIV y songeait pour emm… l’Espagne.

Mais tous les projets avaient été rejetés parce qu’ils n’apportaient pas de solution réaliste au principal problème créé par les 200 mètres de dénivélation à franchir : l’alimentation en eau.

Issu d’une famille de petite noblesse fortunée, Pierre-Paul Riquet (1609 – 1680) était percepteur d’impôts à Revel, près du futur bassin de Saint Ferréol. Bien que n’étant pas ingénieur de formation, il avait une bonne connaissance de la géographie et de l’hydrographie du Languedoc, sa région. Il avait eu le loisir de réfléchir à l’idée d’un canal entre les deux mers et s’était intéressé aux théories d’Adam de Craponne, ingénieur hydrolique spécialiste des canaux.

Pierre-Paul Riquet avait ainsi reconnu sur le terrain le seuil de partage des eaux, le « Col de Naurouze » dans le Lauragais. Il avait eu l’idée de régler l’alimentation d’un futur canal par le recueil des eaux de la Montagne Noire. Son principe reposait sur l’aménagement de plusieurs bassins réservoirs et la descente des eaux par une rigole.

Il n’avait pas plus d’autorité que cela pour imposer son projet, n’ayant pas qualité pour ce faire.

Mais le temps d’un gueuleton et d’une visite sur place, il eut un jour l’occasion de faire part de son idée à son suzerain, l’archevêque de Toulouse. Totalement convaincu, ce dernier lui donne littéralement ordre d’écrire à Colbert. Le courrier est daté du 15 novembre 1662 : « Monseigneur, vous serez étonné qu’un homme de gabelle se mèle de nivellage. Vous excuserez mon entreprise lors que vous saurez que c’est de l’ordre de monseigneur l’archevêque de Toulouse que je vous écris, sachant à peine parler françois».

En résumé : « Je me mèle de ce qui ne me regarde pas. Je ne voulais par vous déranger, mais c’est l’autre qui m’a dit d’écrire … » Ainsi est né le Canal du Midi.

A la grande surprise de Riquet, une commission d’experts est nommée pour examiner son projet. Après l’essai réussi d’une rigole d’alimentation en 1664, la commission donne son accord et Colbert autorise l’engagement des travaux en octobre 1666. Le projet est financé par le Roy, les Etats du Languedoc et Riquet lui-même.

Le chantier commence par le système d’alimentation en eau du canal : le bassin de Saint Ferréol dans la Montagne Noire et la « Rigole de la Plaine » entre Saint Ferréol et le seuil de Naurouze.

Le canal est ouvert par tronçons successifs de 1673 à 1683. Le chantier qui mobilise 12 000 ouvriers est un modèle d’organisation sociale avec un régime d’assurance maladie. La réception définitive a lieu en 1685, mais Pierre-Paul Riquet n’a pas vu la fin de son canal. Il est mort en 1680.

A peine achevé, le canal se retrouve en état de vétusté. C’est Vauban, grand admirateur de l’ouvrage, qui ordonne en 1685 la construction de nombreux ouvrages, aqueducs et ponts canaux destinés à améliorer l’étanchéité.

L’alimentation en eau

La légende attribue à Pierre-Paul Riquet la découverte du seuil de Naurouze comme point de partage des eaux entre Atlantique et Méditerrannée, mais le site était en réalité connu depuis l’Antiquité. L’apport de Riquet, c’était l’idée de récupérer les eaux de la Montagne Noire pour les amener au seuil de Naurouze par un réseau d’écoulement dont il fallait trouver le cheminement.

Les eaux des rivières de la Montagne Noire sont recueillies à partir de la Prise d’Alzeau par la Rigole de la Montagne. Plusieurs bassins permettent de compléter le débit en période estivale : Lampy, Cammazes et Saint Ferréol. En amont du bassin de Saint Ferréol, les eaux sont reprises par la Rigole de la Plaine jusqu’au seuil de Naurouze. La Rigole de la Plaine et le bassin de Saint Ferréol étaient à la base du système d’alimentation proposé par Riquet en 1664. Ils ont été les deux premiers ouvrages du canal du Midi. Saint ferréol et son barrage (1667 – 1672) étaient pour l’époque une énorme entreprise, plus grand lac artificiel de son temps. Les réserves d’eaux ont été complétées en 1957 par le barrage de Cammazes.

Le système d’alimentation comportait à l’origine un dernier bassin de forme octogonale à Naurouze réalisé par Riquet. Mais ce bassin s’est rapidement ensablé du fait des alluvions apportés par la Rigole de la Plaine. Vauban l’a fermé et a fait creuser un canal de dérivation. Le tracé de ce bassin est encore visible. Il est traversé par une allée de platanes.

La ville portuaire rêvée par Riquet autour du bassin de Naurouze n’a jamais vu le jour. Ses descendants lui ont élevé un monument en 1825 : l’Obélisque Pierre-Paul Riquet.

Tout au long de son tracé, le canal pert de l’eau par inflitration dans la nappe phréatique, évaporation et pompage agricole. Le système d’alimentation de Naurouze doit donc être complété par prélèvements dans le Fresquel, l’Aude, l’Orbiel, l’Hérault …

La gestion du canal

Le statut initial du canal du Midi est fixé par l’ordonnance de Colbert de novembre 1666. Pierre-Paul Riquet est adjudicataire de la réalisation et de l’exploitation du futur canal. Son emprise constitue un fief exempt d’impôts attribué à Riquet et à ses descendants. Il y dispose des droits de pêche et de chasse. Mort en 1680 avant la mise en service, Riquet n’aura pas le temps d’encaisser les premiers bénéfices générés par les droits de passage. Plusieurs générations de Riquet lui succéderont sur le canal.

De 1858 à 1898, l’exploitation est concédée à la Compagnie des Chemins de Fer du Midi. Puis en 1898, l’Etat en devient propriétaire. Le domaine public du canal du Midi correspond à l’ancien fief attribué à la famille Riquet.

La gestion est aujourd’hui déléguée à Voie Navigables de France (VNF), le personnel étant mis à disposition par le Ministère de l’Equipement.

De novembre à janvier, il est arrêté pour les opérations de maintenance. De tout temps, l’entretien du canal s’est toujours heurté aux mêmes difficultés : ensablement, envasement, perte d’étancheïté, remplissage par les feuilles mortes.

Economie du canal

A son ouverture en 1685, le canal avait pour principale vocation le trafic de blé et de vin et un service régulier de malleposte pour les voyageurs et le courrier. Mais le trafic reste local. On emprunte le canal pour les échanges commerciaux entre le Bordelais, le Languedoc et la Provence mais le trafic international de Méditerrannée à Atlantique ne semble pas avoir pris le développement souhaité par Louis XIV.

Le service de malleposte est particulièrement rapide pour l’époque d’autant qu’on trouve petit à petit les atuces pour accélérer le trafic : on change de barque d’une écluse à l’autre, ce qui permet d’économiser le temps de franchissement des écluses.

Le trafic connaît son apogée sous le Second Empire. Le canal du Midi est complété par le canal latéral à la Garonne qui raccourcit le trajet vers Bordeaux. Puis il entre en déclin avec la concurrence du rail. La concession accordée à la Compagnie des Chemins de Fer du Midi de 1858 à 1898 n’arrange pas les choses : la compagnie met sur le canal des tarifs prohibitifs pour orienter la clientèle vers le train.

Devenu propriétaire en 1898, l’Etat tente de relancer le trafic en supprimant les péages. Le faible tirant d’eau limite le tonnage. Il faut passer le canal au gabarit Freycinet mais le projet est abandonné faute de crédits.
La motorisation des péniches redonne vie au canal à partir de 1930. La malleposte devient un service de luxe avec un salon de première classe pour le beau monde.

Mais le déclin reprend malgré les investissements très lourds engagés dans les années 1970 comme la pente d’eau de Montech. Le trafic commercial s’arrête dans les années 1980. Le canal du Midi a pour vocation actuelle le tourisme, la plaisance et l’irrigation agricole.

Déclaré Patrimoine de l’Humanité en 1996, le canal est toujours ouvert à la navigation.

Haute Garonne et Aude - juin 2008