Rennes le Château et le Razès



Brillant séminariste mais mal noté pour ses opinions anti-républicaines, Bérenger Saunière est nommé prêtre de Rennes-le-Châteaux en 1885. Cette nomination tient plus de la punition que de l’avancement. La petite église du Xème siècle est en ruine et le presbytère est un taudis inhabitable. L’abbé Saunière vit à crédit chez les paroissiennes. Il n’a pas un sous.

En 1886, il recueille un don qui lui permet d’engager quelques travaux urgents pour la remise en état de l’église. Lors du chantier, des manuscrits anciens sont découverts dans un balustre. L’abbé s’empresse de les escamoter au grand dam de la municipalité.

Bérenger Saunière se passionne pour l’histoire de ce coin de terre entre Corbières et Lauragais : le Razès. Haut perché sur une colline, Rennes-le-Château n’est plus qu’un petit village. Mais au temps du royaume wisigoth d‘Aquitaine, la colline aurait été occupée par une importante place forte : Rhedae.

Saunière partage cette passion avec ses collègues des communes voisines de Coustaussa et Rennes-les-Bains, l’abbé Gélis et l’abbé Boudet, deux personnages tout aussi énigmatiques.

Les conditions de vie de l’abbé Saunière demeurent précaires. Ses sermons anti-républicains lui valent des suspensions de traitement. Il est toutefois aidé par sa fidèle servante, Marie Dénardaud. De méchantes langues prétendent qu’elle ne s’est pas contentée de faire le ménage de la sacristie !

En 1891, Saunière fait un voyage à Paris. Il est mis en relation avec les milieux occultistes de la capitale. La mode est aux sociétés secrètes. Il est du dernier chic de faire partie d’une loge maçonnique ou rosicrucienne. Il est également reçu par Emile Hoffet, un érudit Alsacien spécialiste d'écriture ancienne. S’agit-il de traduire les manuscrits découverts dans l’église ?

Au Louvre, l’abbé s’intéresse tout particulièrement à un tableau de Nicolas Poussin : « Les bergers d’Arcadie » (1640).

Mais le plus étonnant est sa rencontre avec Emma Calvé, la plus célèbre cantatrice de son temps. Qu’est ce que cette gloire de l’époque pouvait bien fricoter avec un curé de campagne à la soutane élimée ?

Après le voyage à Paris, la vie de l’abbé est complétement dérèglée. Accompagné de Marie Dénardaud, il erre des journées entières à la recherche d’on ne sait trop quoi. Il passe ses nuits dans les cimetières et trafique les pierres tombales. Il en veut plus spécialement à la tombe de Marie d’Hautpoul de Blanchefort, dernière châtelaine de Rennes-le-Château. Les habitants se plaignent au Préfet, mais l’abbé n’en a cure !

Puis soudain, à partir de 1893, Bérenger Saunière est plein de sous.

Il se fait construire une confortable villa, un parc, une tour bibliothèque avec un chemin de ronde le long du parc. Il fait restaurer l’église et la fait décorer dans un style assez original : les paroissiens sont accueillis par la statue du Diable !

L’abbé mène grand train. Il reçoit finement dans sa villa des personnages de haut rang. Le village profite également de la manne. A ses frais, Saunière fait construire une route. Fini le temps des plaintes au Préfet. Le curé est une bénédiction pour le village et le village bénit son curé. Mais d’où vient l’argent ?

Le mystère n’entoure pas seulement l’abbé Saunière. En 1897, son collègue de Coustaussa l’abbé Gélis est retrouvé massacré au presbytère. L’assassin n’a point fait quartier. Mais les gendarmes ne sont pas au bout de leurs surprises : le presbytère est truffé de pièces d’or. Il suffit de secouer les armoires ou de taper dans un tuyau de poêle pour voir dégringoler des dizaines de jaunets.

Dans les années 1900, Bérenger Saunière connait des temps moins faciles. Il doit se bagarrer contre sa hiérarchie qui trouve curieux qu’un curé de campagne bouffe dans de la vaisselle d’or.

Il meurt en 1917 en laissant tout à Marie Dénardaud.

Marie passe le reste de sa vie à cultiver la mémoire de son cher abbé. Elle confie à un proche : « Avec ce que monsieur le curé a laissé, on pourrait nourrir Rennes pendant cent ans et il en resterait encore ». Il n’en faut pas plus pour enflammer l’imagination, mais elle meurt en 1953 sans avoir révélé son secret.

L’affaire tombe doucement dans l’oubli. Mais René Descadeillas directeur des archives départementales de l’Aude se passionne pour le dossier et ses travaux éveillent l’attention du journaliste Gérard de Sède. En 1967 la publication du livre « L’Or de Rennes-le-Château » est le point de départ d’un vaste engouement pour l’affaire Saunière qui n’a fait que s’amplifier avec le temps.

Des centaines de livres ont été écrits sur l’affaire. Le Razès a été rasé par des milliers de chercheurs de trésor maniant aussi bien la cartouche de dynamite que le pendule de radiésthésiste. L’église a été passée au peigne fin. Le moindre détail y est interprété comme un message codé. Du vandalisme a été commis un peu partout. Aujourd’hui encore le Conseil Municipal de Rennes-le-Château doit régulièrement délibérer sur des demandes d’autorisation de fouilles.

Des théories faramineuses ont été construites à partir de l’affaire. Elles font appel à toutes les ressources de l’occultisme et de l'ésotérisme. Il y est question de prieuré de Sion, de loges rosicruciennes, de survivance de la dynastie mérovingienne et de trésor wisigoth (l’abbé a forcément mis la main sur un paquet d'osier). A la lecture du Da Vinci Code, les personnes connaissant un peu le dossier n’ont pas manqué de relever les innombrables allusions que Dan Brown fait à l’affaire Saunière sans jamais la citer.

Petit à petit, les chercheurs érudits ont fait place aux cars de touristes.

Bérenger Saunière a-t-il découvert le trésor du royaume wisigoth d’Aquitaine qui aurait été mis à l’abri dans l’ancienne place forte de Rhedae ?
Les manuscrits de l’église contenaient-ils des révélations susceptibles de lui rapporter une fortune ?

Voici un extrait du genre d’énigme qu’il faut décortiquer si l’on veut décrocher le ponpon dans l’affaire de Rennes-le-Château : « Bergère pas de tentation. Que Poussin Teniers gardent la clef. Pax DCLXXXI Par la Croix et ce Cheval de Dieu j’achève ce Daemon de gardien à Midi. Pommes Bleues ». Amusez-vous avec ça et trouvez le trésor (enfin ce qu’il en reste). Il paraît que l’abbé a trouvé !…

L’essentiel est que l’histoire soit belle et qu’elle se déroule sous le soleil de l’Occitanie.

juin 2008